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“WWOZ”: Quatre mystérieuses lettres qu’une serveuse de l’hôtel Le Méridien, au numéro 614 de Canal Street, me notait au dos d’une carte. “Si tu aimes le jazz, les Neville Brothers et ce genre de son, c’est la station de radio que tu dois écouter”. Nous étions à La Nouvelle-Orléans, aussi surnommée The Big Easy, au mois d’août de l’année 1992, et ce fut pour moi un voyage initiatique qui modifia à tout jamais ma vision de la musique.
Treize ans plus tard survenait Katrina: les digues du lac Pontchartrain lâchaient et quatre-vingts pour cent de la ville étaient englouties sous les eaux. Bilan : plus de 1 800 morts, 182 000 bâtiments détruits et un demi-million de logements endommagés. Mais, malgré tout, et comme le disait Barack Obama lors de sa visite en 2010 dans le cadre du cinquième anniversaire de la tragédie, la ville était devenue ”un symbole de résistance et de sens de la communauté”. La créativité était la clé de la réussite, et à travers la musique, elle permit aux habitants de s’en sortir.
La catastrophe devint une source d’inspiration pour une infinité de documentaires, livres, disques et séries télévisées. Le meilleur exemple, “Treme”, est une excellente série produite par la HBO, qui reflète la réalité de La Nouvelle-Orléans post-Katrina, cette ville qui malgré la corruption des politiques et de la police et la spéculation urbaine a survécu grâce à son principal agent actif: sa culture. Bien sûr, la WWOZ y joue un rôle de premier plan en la personne de Davis McAlary, inspiré de Davis Rogan, le DJ de la station de radio et le leader du groupe All That.
Depuis plusieurs années, la WWOZ peut s’écouter dans le monde entier via internet et elle multiplie sa présence sur les réseaux sociaux. Et c’est là que débute cette histoire surprenante. Un jour de février de l’année 2014, je vis quelque chose sur la page Facebook de la station qui me laissa bouche bée : la photo d’une interview avec Fermin Muguruza dans les studios. Je n’aurai jamais imaginé le voir là-bas. En fait, lorsqu’il publia « Euskal Herria Jamaika Clash » (Talka, 2006), durant une discussion, je lui dis que la prochaine étape pourrait être une collaboration avec des rappeurs nord-américains. Mais La Nouvelle-Orléans… Comment ?
L’origine de cette énigme se trouvait à Barcelone, au festival de documentaires musicaux In-Edit : lors des éditions de 2011 et 2013, Fermin avait rencontré les réalisateurs Aaron Walker –auteur de “Bury The Hatchet” (2010), documentaire consacré aux Indiens de Mardi Gras– et Lily Keber –auteure de “Bayou Maharajah, The Tragic Genius Of James Booker” (2013), documentaire qui traîte du pianiste de légende–, et grâce à ces deux-là, il s’envola pour la Louisiane en 2014. Il fut interviewé à la WWOZ par George Ingmire, il fit la connaissance de musiciens et il joua même dans un bar de Frenchmen Street avec des musiciens locaux. “Je me suis senti un parmi les autres”, nous confie-t-il.
De cette expérience naissait le projet d’enregistrer un album à The Big Easy, “Irun Meets New Orleans” –un clin d’oeil à son “Irun Meets Bristol. Komunikazioa” (Metak-Kontrakalea, 2003)–. Ainsi, Fermin adapte huit titres de sa carrière aux sonorités néo-orléanaises et il interprète deux reprises de classiques liés à la ville. Il réalise par la suite un documentaire, “NOLA?” –un jeu de mot entre l’acronyme de “New Orleans, Louisiana” et “comment?” en basque–, qui relate le processus d’enregistrement et la situation de la ville dix ans après Katrina. Fermin y retourna donc en mai pour y préparer les sessions et il y enregistra l’album en septembre.
Jonathan Freilich, le producteur, arrangeur musical et guitariste de “Irun Meets New Orleans”, leader de The New Orleans Klezmer All-Stars et The Naked Orchestra, et un parcours qui inclut des collaborations avec Galactic, Robbie Robertson, Johnny Adams, Kermit Ruffins et The Wild Magnolias, organisa deux groupes: un brass band capable d’interpréter les chansons de Fermin, et une formation de rhythm’n’blues plus flexible qui puisse allier les sonorités ska et punk avec le son néo-orléanais.
La liste des musiciens invités est impressionnante : l’historique Preservation Hall Jazz Band dirigé par Ben Jaffe, l’accordéoniste zarico Sunpie Barnes (leader de The Louisiana Sunspots), la première rappeuse queer de bounce Katey Red, la chanteuse Erica Falls (Galactic, Dr. John), le percussioniste Derrick “Oops” Moss (cofondateur de The Soul Rebels), le saxophoniste Dan Oestreicher (Trombone Shorty & Orleans Avenue), la violoncelliste Helen Gillet (Luke Winslow-King, Dr. John), le bassiste James Singleton (membre de Astral Project et collaborateur de Johnny Adams, Coco Robicheaux, Stanton Moore, Jon Cleary et Irma Thomas), le trompettiste Antonio Gambrell (ex All That), le batteur Doug Belote (Anders Osborne, Sonny Landreth, Dr. John, Cyril Neville, Jon Cleary, Rickie Lee Jones), le pianiste et organiste Brian Coogan (The Iguanas, Bonerama, Stanton Moore), le trompettiste Scott Frock (Delfeayo Marsalis, Marcia Ball, Gladys Knight), le tromboniste Rick Trolsen (ex-Bonerama et présent dans les disques de Luke Winslow-King, Sonny Landreth, Theresa Andersson et Snooks Eaglin) et le saxophoniste Rex Gregory (Irvin Mayfield, Dr. John), entre autres.
L’ingénieur du son Mark Bingham mérite une mention spéciale. En plus d’être le créateur des studios Piety Street, lieu d’enregistrement de cet “Irun Meets New Orleans”, il a produit John Scofield, Glenn Branca et Rebirth Brass Band, il a participé à plusieurs tribute albums coordonnés par son ami de toujours Hal Willner et il collabora dans “The Lion For Real” (1989) de Allen Ginsberg.
Si on y réfléchit bien, Muguruza est un artiste qui a eu un parcours imprévisible, marqué par des changements continus de direction, et c’est pourquoi ce nouveau tournant n’est pas si surprenant. De plus, dans ses multiples projets, il a toujours su mêler la tradition –en utilisant la trikitixa ou les irrintziak, par exemple– à la modernité et il a toujours touché aux styles les plus variés. Et quel est l’endroit où le mélange des goûts, ce que les natifs nomment gumbo en honneur au plat appétissant de la gastronomie créole, s’entend et se vit le mieux ? La Nouvelle-Orléans, en effet.
Il faut aussi y ajouter sa facette de réalisateur. Avec ses documentaires précédents, les brillants longs métrages “Bass-que Culture” (2006), “Checkpoint Rock. Chansons depuis la Palestine” (2009), “Zuloak” (2012) et “No More Tour” (2013), et la série sur la musique dans les pays arabes “Next Music Station” (2011) pour la chaîne Al Jazeera, qui de mieux placé que lui pour prendre le pouls de l’état actuel de la ville dix ans après Katrina?
Il existe des parallèles entre “NOLA?” et un épisode de “Treme”: les chansons sont très bien intégrées, en totale harmonie avec ce que les protagonistes racontent. La musique devient, ainsi, un personnage de plus dans la narration. Le fil conducteur est George Ingmire, le présentateur de la WWOZ, qui est aussi le réalisateur et auteur de plusieurs sessions radiophoniques évoquant l’impact de l’ouragan. Avec son speech critique et ironique, il alterne le récit de l’enregistrement du disque avec des observations sur l’état des choses.
Le documentaire débute sur un montage intelligent d’images en noir et blanc et en couleurs (plantations de coton, Ku Klux Klan, ségrégation raciale, la catastrophe Katrina… un clin d’oeil au générique d’ouverture de “Treme”?), pour faire place à Ingmire en direct du studio de la WWOZ, qui raconte que dix années se sont écoulées depuis la tragédie et que Fermin Muguruza atterrit à New Orleans afin de se réunir avec plusieurs musiciens et donner “a New Orleans flavour” à ses chansons.
Ensuite, les paroles du DJ et les déclarations des différents personnages (les musiciens de “Irun Meets New Orleans”, mais aussi les réalisateurs Aaron Walker et Lily Keber) se relaient avec des images d’archives, des photographies spectaculaires et l’enregistrement des chansons. L’influence de l’humidité et de la chaleur dans la musique fait place à “Kolore bizia” –de “Borreroak baditu milaka aurpegi” (1993) de Negu Gorriak– aux effluves caribéens et à l’explosion des cuivres, avec le solo final de la violoncelliste Helen Gillet.
L’impact de Katrina, l’inefficacité du gouvernement nord-américain, le traitement des médias qui considéraient les habitants de la ville en tant que “réfugiés” et le retour à la ville d’origine de la diaspora renvoient à un formidable “Etxerat!” –de “Kolpez kolpe” de Kortatu (1986)– avec la cadence de la second line. “Cette catastrophe et les conséquences ont fait que les musiciens sont restés unis. Et, consciemment ou pas, cette expérience a renforcé la musique”, peut-on lire.
Les sessions d’un “In-komunikazioa”–de “In-komunikazioa” (2002)– plutôt jazzy et enrichi de rythmes tribaux et d’un autre festival de cuivres de la Preservation Hall Jazz Band, contraste avec les bases hip-hop de l’original. Ces sessions alternent donc avec des citations des musiciens soulignant l’importance de la musique –“ elle fait partie de notre quotidien”–, de la tradition –“ Il y a un équilibre à trouver entre la préservation de la tradition et la recherche de nouvelles manières d’être créatif dans le cadre de la tradition”–, des sagas familiales et de la connexion avec Cuba.
La célébration du carnaval, et, en particulier, l’histoire des Indiens du Mardi Gras se lie à merveille avec la version exubérante de “Mess Around”, une chanson écrite par le fondateur d’Atlantic Records, Ahmet Ertegun, et éditée en tant que single de Ray Charles en 1953, même si par la suite Dr. John et Professor Longhair réadaptèrent la chanson. Ainsi, à la fin, le claviériste Brian Coogan s’exclame: Oh, j’ai joué la version de Dr. John!”.
La pratique du vaudou et la légendaire reine sorcière Marie Laveau introduisent “Zugarramurdin akelarrea” –de la bande originale du film “Les sorcières de Zugarramurdi” (Álex de la Iglesia, 2013)–, avec l’accordéoniste Sunpie Barnes, la rappeuse Katy Red qui lui donne une touche bounce surprenante, suivi de déclarations sur l’homophobie, la corruption et les abus policiers.
Le personnage mythique du pirate Jean Laffite et toutes les légendes qui courent à son sujet, comme celles qui le lie à la première édition du “Manifeste du Parti Communiste” de Karl Marx, cadrent parfaitement avec “Dub Manifest” –de “FM 99.00 Dub Manifest” (2000)–, avec la voix spectaculaire d’Erica Falls et le puissant brass band qui se substitue au dub électronique, pendant que l’on évoque la relation entre la musique et la communauté.
Les abus capitalistes –“ Ce n’est pas du capitalisme de libre marché comme on te l’a enseigné à l’école”– et la spéculation urbaine après Katrina –“nous sommes passés de la gentrification à la touristification”– sont une introduction parfaite pour “After-boltxebike”, autre tube de “Kolpez kolpe” qui change radicalement, bien que la chanson conserve l’énergie punk d’origine.
La célébration de la mort à travers les funérailles et les second lines nous amènent à la version de “When I Die” de Kermit Ruffins –à l’origine intitulée “When I Die (You Better Second Line)”, de son album “Big Easy” (2002)–, chanson dédiée à Amaia Apaolaza, la manager de Fermin décédée en juillet dernier. À nouveau accompagné de la voix d’Erica Falls, le morceau s’ouvre au son d’un orgue funèbre avant l’explosion de rythmes d’une procession festive.
L’occupation de l’armée suite à l’évacuation de La Nouvelle-Orléans et la survie à travers la musique font le lien avec “Gora herria” –de “Gure jarrera” (1991) de Negu Gorriak–, que Sunpie Barnes décrit comme une chanson “qui pourrait aussi être une chanson de Louisiane.”. Avec son accordéon (en remplacement de la trikitixa de la version originale), il lui donne une touche zarico.
Le final raconte comment le projet a été conçu, à travers les mots de la réalisatrice Lily Keber et du producteur Jonathan Freilich. Il culmine avec le funk de “Black Is Beltza” –chanson qui accompagne la roman graphique éponyme de 2014, créé par Jorge Alderete, Fermin et Harkaitz Cano–. Et Ingmire clôt le tout: “Nous n’avons plus le temps”.
La grandeur d’un créateur est reconnue lorsque ses compositions s’accommodent aisément à tous les genres musicaux, et, dans notre cas, les chansons emblématiques de l’artiste d’Irun (la plupart d’entre elles ont à l’origine un rythme punk rock et ska endiablé) se sont parfaitement adaptées aux sonorités de La Nouvelle-Orléans. Muguruza a eu la même envie que des centaines d’autres musiciens du monde entier qui ont voyagé à New Orleans, attirés par son charme (certains d’entre eux s’y sont même installés définitivement): Elvis Costello, Robbie Robertson, Willy DeVille, Luke Winslow-King, Ani DiFranco, Dayna Kurtz, Jon Cleary, Anders Osborne ou, plus récemment, Jello Biafra, avec son album live “Walk On Jindal’s Splinters” (2015) et The New Orleans Raunch & Soul All-Stars.
En fin de compte, Willy DeVille a sûrement raison quand il me conta que “vraiment, La Nouvelle-Orléans est différente du reste de l’Amérique. C’est un lieu qui attire tous les criminels, ceux qui veulent échapper à la police, les pirates… Tous les marginaux et les artistes vont là-bas. C’est une ville très excentrique, les gens sont fous; mais ça leur est égal. Ils veulent juste boire un coup, jouer de la musique et passer du bon temps”.
Comme ils disent là-bas, à The Big Easy, “let the good times roll! / laissez les bons temps rouler!”.
Miquel Botella, créateur de l’émission et du blog “Ciudad Criolla… En la frontera” de Radio Gladys Palmera (ciudadcriolla.gladyspalmera.com)
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